En année sabbatique en France, Norberto Grzywacz est accueilli par le Laboratoire des Systèmes Perceptifs à l’ENS-PSL. Ses travaux de recherche portent sur les mécanismes cérébraux des valeurs esthétiques. Pourquoi les gens perçoivent certaines scènes visuelles et certains morceaux auditifs comme beaux ou laids ? Ces travaux l’ont conduit dans les domaines de la perception et de l'art.
Les mécanismes cérébraux des valeurs esthétiques
Norberto Grzywacz et son équipe considèrent leurs travaux de recherche comme une véritable enquête sur les mécanismes cérébraux qui sous-tendent les valeurs humaines. « Les valeurs sont des composantes essentielles de la manière dont les humains et les autres animaux prennent des décisions sur comment agir. Les valeurs esthétiques sont une composante du système de valeurs du cerveau et nous nous sommes principalement concentrés sur elles en raison de leur accessibilité expérimentale et théorique. » La beauté et la laideur font partie d'un spectre de décisions prises à l'aide de valeurs esthétiques pour des tâches importantes du point de vue de l'évolution. « La décision de manger cette pomme ou de sortir avec cette personne dépend en partie de vos valeurs esthétiques » explique le chercheur.
Mais quels sont les mécanismes cérébraux qui sous-tendent la décision que quelque chose est beau ou laid ? La recherche a révélé que si les valeurs esthétiques sont individuelles et donc quelque peu subjectives, la façon dont le cerveau les traite est objective. Plusieurs zones du cerveau participent à ce traitement. « Les quatre zones les plus importantes pour les valeurs esthétiques sont le cortex orbito-frontal, les ganglions de la base, l'insula antérieur et le cingulaire rostral. Chacune de ces zones a une fonction relativement bien comprise, ce qui nous permet de formuler des hypothèses et de sonder les processus impliqués dans les valeurs esthétiques. Par exemple, les ganglions de la base jouent un rôle important dans leur apprentissage, ce qui permet à chacun d'entre nous de les adapter à nos contextes uniques, tels que les environnements, les familles, les sociétés et les cultures. »
Par conséquent, les différences entre les individus dans leurs décisions concernant la beauté et la laideur sont en partie dues à des mécanismes d'apprentissage fonctionnant dans des contextes différents. « L'individualité découle également de signaux provenant de l'intérieur de notre corps et reçus par l'insula antérieure. Parce que nous avons des métabolismes, des pulsions sexuelles, des peurs du risque, etc. différents, nous agissons différemment et apprenons ainsi des ensembles de valeurs individualisés. » Cependant, les valeurs, la beauté et la laideur ne sont pas entièrement individuelles. « La nature et les sociétés transmettent des valeurs qui sont similaires entre pairs. Par exemple, le fait que la symétrie ait tendance à avoir une grande valeur esthétique est commun à toutes les cultures car d'importantes caractéristiques biologiques, telles que les visages, les fruits et les plantes sont symétriques. Par conséquent, au cours de l'évolution, des mécanismes spécialisés dans le traitement de la symétrie sont apparus, ce qui en fait une composante de notre système de valeurs esthétiques. »
Des études neuroscientifiques sur les grands tableaux et la musique populaire
Les recherches de Norberto Grzywacz et de son équipe sur les mécanismes cérébraux des valeurs esthétiques les ont naturellement amenés à étudier les œuvres d’arts. «Nous nous sommes intéressés à la question de savoir si l'on pouvait voir des signatures de ce que nous avons découvert dans le cerveau, dans le travail des peintres, des musiciens et des architectes. » Il n’est pas surprenant que l’équipe du chercheur soit hautement pluridisciplinaire, réunissant des peintres, des musiciens et des architectes des scientifiques, des ingénieurs, des mathématiciens, des psychologues et des sociologues.
« Notre principal outil d'exploration dans ce domaine a été les études statistiques des œuvres d'art telles que les portraits et les chansons populaires. De plus, nous avons testé expérimentalement si les conclusions de ces études statistiques s'appliquent à des observateurs non artistes. Certaines de ces conclusions portent sur la concurrence entre les variables esthétiques dans le cerveau des artistes et l'importance de la surprise musicale. »
Une autre conclusion importante est la tendance des artistes à exagérer la valeur des variables esthétiques. « Cette conclusion est importante car elle implique que l'art n'est généralement pas une représentation fidèle de la vérité extérieure, mais qu'il accentue plutôt certaines propriétés pour obtenir des effets esthétiques. »
Ainsi, l'art « chatouille » les zones du cerveau impliquées dans les décisions évolutives importantes basées sur les valeurs esthétiques. « Il est important de noter que ces valeurs ne sont pas fixes. Elles dérivent chez les individus au fil des minutes ou des années. Et en se concentrant sur l'histoire de l'art, nous avons observé des dérives dans les valeurs des variables esthétiques au cours des siècles. Mais nous avons également observé des transitions dans l'histoire de l'art en l'espace de quelques décennies seulement. »
Une année sabbatique pour développer une nouvelle ligne de recherche
Cette année sabbatique permet au chercheur, d’approfondir ses travaux et de développer une nouvelle ligne de recherche. « La principale idée nouvelle que j'espère développer cette année est une étude de la manière dont les cultures esthétiques émergent des interactions sociales entre les personnes. Les résultats préliminaires suggèrent que lorsque différents individus dotés des mécanismes d'apprentissage tels que décrit précédemment interagissent les uns avec les autres, des groupes de valeurs esthétiques similaires commencent à se former. Ces groupes donnent naissance à des cultures esthétiques. »
Tout au long de son séjour en France, le chercheur participera à des séminaires, des workshops, et des conférences à l’ENS mais également à l'IRCAM (Institut de recherche et coordination acoustique/musique) ou encore participera au mois de juillet au colloque d'été "Beautés Vitales : Pour une Approche Contemporaine de la Beauté" au Centre Culturel International de Cerisy.
Le LSP, un environnement idéal pour la recherche en neurosciences visuelles et auditives
Les recherches menées au LSP en font un environnement idéal pour Norberto Grzywacz qui connaissait les travaux de Pascal Mamassian, directeur du laboratoire, dans le domaine des neurosciences cognitives visuelles. « J'avais également l'impression que la façon dont Pascal pensait aux théories du cerveau cognitif correspondait à la mienne. De plus, le LSP compte de nombreux autres spécialistes en sciences visuelles avec lesquels je ressens une affinité académique. C’est le cas par exemple de Peter Neri et Claudia Lunghi. »
La présence d’une équipe spécialiste des neurosciences auditives au LSP permet également au chercheur d’échanger autour de ses travaux sur les valeurs esthétiques musicales. De façon plus générale, la pluridisciplinarité du DEC a été déterminante dans son choix d’effectuer une partie de son année sabbatique à l’ENS.
Enfin, l’opportunité de passer du temps dans la capitale française a été un élément décisif. « Paris, "Ville d'art", est l'un des rares endroits au monde où je peux interagir avec de grandes communautés intéressées par la musique, l'architecture et les arts visuels. La taille et la diversité de ces communautés augmentent considérablement les chances de trouver des personnes intéressées par des collaborations avec des scientifiques. »
Norberto Grzywacz profitera de son long séjour pour voyager à travers la France, et visiter en particuliers les sites préhistoriques de la Vallée de Vézère en Dordogne, à la découverte de grottes ornées de peintures préhistoriques. « Est-ce si surprenant pour un scientifique intéressé par l’art ? » conclut-il avec humour !
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